Le 30 décembre 2022, la Cour suprême italienne (Cour de cassation) a émis une ordonnance qui est intervenue à nouveau sur l’interprétation de l’exception de citation au titre de l’article 70 de la loi italienne sur le droit d’auteur (l. 633/1941, fort.). La décision concerne une campagne publicitaire d’une société d’eau minérale. La vidéo commerciale faisant la promotion de l’eau minérale présente une version humoristique du Zorro personnage créé par Johnston McCulley en 1919, mais lui-même inspiré par des figures littéraires antérieures telles que Robin Hood et Scarlet Pimpernel ainsi que, selon certaines spéculations, Joaquin Murrieta, un hors-la-loi californien qui a vécu dans les années 1800. La société qui détient les droits d’auteur sur le personnage de Zorro a poursuivi la société d’eau minérale pour violation du droit d’auteur.
Le jugement de l’ordre est le suivant:
« La parodie doit respecter un juste équilibre entre, d’une part, le droit de propriété intellectuelle du titulaire du droit d’auteur sur l’œuvre et, d’autre part, la liberté d’expression de l’auteur de la parodie ; en ce sens, la reproduction d’une œuvre protégée peut être justifiée dans les limites inhérentes à la finalité parodique et à condition que la parodie ne porte pas atteinte aux intérêts du propriétaire de l’œuvre originale, comme c’est le cas lorsqu’elle entre en concurrence avec l’exploitation économique de œuvres originales ».
Loi italienne sur le droit d’auteur et parodie
L’Italie a choisi de ne pas introduire de ad hoc exception à la parodie dans sa loi sur le droit d’auteur, même lorsqu’elle aurait pu procéder ainsi sur la base de la directive InfoSoc. Aujourd’hui, la loi italienne, suite à la mise en œuvre de l’art. 17 (7) de la directive sur le droit d’auteur 2019/790 (CDSMD), énumère explicitement les exceptions et limitations aux fins de la caricature, de la parodie et du pastiche à l’art. 102-nonies (2) l.aut., mais cette disposition vise spécifiquement à protéger la liberté d’expression des internautes lorsqu’ils téléchargent et mettent à disposition les contenus qu’ils génèrent par l’intermédiaire de fournisseurs de services de partage de contenus en ligne. En d’autres termes, ce n’est pas une exception générale à la parodie.
Vers la doctrine italienne du juste équilibre ?
L’affaire tranchée par le Cour de cassation offre l’occasion de reformuler le principe juridique de la primauté de la liberté de parodie sur le droit d’auteur dans les termes utilisés par la Cour d’Ustice de l’UE (CJUE). La formule (magique) est le « juste équilibre entre les droits fondamentaux ». Dans le lexique de la Charte des droits fondamentaux de l’UE (CRF), il s’agit de l’équilibre entre la propriété intellectuelle (article 17, paragraphe 2) et la liberté d’expression et d’information (article 11).
En bref, la doctrine du juste équilibre de style européen fait officiellement partie des techniques d’interprétation et d’argumentation de la Cour suprême italienne.
Mais il y a des problèmes ouverts.
a) Quelle est la relation entre la CRF et la Constitution italienne dans le domaine du droit d’auteur ?
b) La CJUE a inventé et utilisé la formule du juste équilibre pour se donner le pouvoir de se conformer à la législation européenne sur le droit d’auteur. Dans les arguments du Cour de cassationla formule est-elle destinée à peser réellement dans l’issue des prochaines décisions ?
c) Dans la jurisprudence de la CJUE, la doctrine du juste équilibre a permis d’assouplir l’interprétation des exceptions et limitations, autrement condamnés aux espaces étroits de l’interprétation littérale restrictive. En jugeant de l’admissibilité de la parodie, la Cour doit respecter un juste équilibre entre les droits fondamentaux. Si le message contenu dans la parodie a un contenu discriminatoire, le Tribunal doit considérer l’intérêt de l’auteur à ne pas voir son œuvre associée au message discriminatoire (Deckmyn, C-201/13). Est le Cour de cassation prêt à suivre la CJUE sur cette voie ?
d) La doctrine du juste équilibre est-elle destinée à devenir une sorte de fair use euro-italien déguisé ? La question est pertinente car beaucoup réclament l’inclusion d’une clause évolutive dans le cadre réglementaire européen, comme le suggère par exemple reCreating Europe’s recommandations sur la politique du projet.
Le diable – comme toujours – est dans les détails. La prévalence du droit à la parodie n’est que tendancielle, le droit d’auteur regagnant lorsque l’œuvre parodique entre en concurrence avec l’exploitation économique de l’œuvre originale. Cette décision du Cour de cassation n’est pas totalement convaincant pour deux raisons.
(i) Le critère fondé sur la concurrence avec l’utilisation économique de l’œuvre est glissant. D’une part, les techniques sophistiquées du droit de la concurrence visant à définir les frontières du marché pertinent n’ont pas leur place dans le droit d’auteur. D’autre part, l’imitation ou la reproduction à des fins parodiques n’est pas toujours source de suppression des bénéfices de l’œuvre originale ; au contraire, elle peut produire l’effet inverse, multipliant notoriété et revenus.
(ii) Le critère du juste équilibre pèse ainsi en faveur de la propriété intellectuelle au détriment de la liberté d’expression. Ce raisonnement reflète une vision unidimensionnelle (économique) du droit d’auteur, alors que celui-ci est historiquement, philosophiquement et positivement multidimensionnel, car il est précisément étroitement lié à la liberté d’expression et d’information.
Citation ou utilisation transformatrice d’idées non protégeables ?
Une dernière remarque. La formulation d’un problème juridique n’est jamais un acte neutre puisque, en reflétant les convictions politiques et idéologiques de l’interprète, elle guide la solution. Le dossier soumis à la Cour de cassation a été formulée en termes d’exception de citation. Mais le problème ne pourrait pas être formulé en référence à l’exception de citation, mais aux principes de créativité et à la dichotomie idée/expression.
Plusieurs arguments vont dans ce sens. La protection de Zorro est invoquée non par rapport à une œuvre complexe, mais à un personnage inspiré d’autres précédents historiques. Partant du principe que les éléments identitaires et figuratifs du personnage (le nom Zorro, la noirceur des vêtements, le masque, le chapeau et l’épée) sont des contenus créatifs, ces éléments sont replacés dans un contexte humoristique qui détermine sans doute un nouveau sens sémantique. Ils prennent dans l’œuvre parodique autonome un sens « transformatif » qu’ils n’ont pas dans l’œuvre originale. De tels éléments créatifs, s’ils sont évalués dans l’analyse comparative entre travail parodié et parodique, perdent leur caractère originel et finissent par devenir des idées, des données, des faits.
Cette manière de raisonner a l’avantage de s’intéresser non pas à la distinction formelle entre idée et expression (toujours difficile à gouverner), mais à la finalité d’une œuvre qui s’inspire d’une ou plusieurs œuvres antérieures en en modifiant le sens. Cet avantage est évident, par exemple, dans les litiges sur l’art contemporain, qui est connu pour être plus axé sur les idées que sur les expressions.
L’objectif de la législation sur le droit d’auteur n’est pas seulement de créer un marché pour les œuvres de l’esprit, mais également de garantir la liberté d’expression et d’information. Cette liberté favorise, dans une société démocratique, le dialogue entre les auteurs et le public, le développement d’une culture plurielle, diverse et inclusive ainsi que l’accomplissement de la fonction sociale du droit exclusif et de ses limites. Dans cette perspective, l’analyse du conflit parodie-droit d’auteur ne peut être enfermée dans un critère fondé sur des paramètres formels (distinction abstraite entre idée et expression) ou simplement économiques (concurrence avec l’usage économique de l’œuvre originale) qui ignorent la finalité de la parodie.