A voir cet écrit : Antoine Gosset Grainville, l’avocat démineur du CAC 40

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L’encart a été édité à une date notée 2024-01-16 06:00:00.

Publié le 16 janv. 2024 à 14:00

« Il est très fort, il arrive à être partout. Y compris président d’Axa alors qu’il est avocat », résume un grand banquier parisien mi-admiratif, mi-narquois. Pour lui comme pour d’autres, Antoine Gosset-Grainville est bien l’homme du moment.

L’avocat de 57 ans est le « G » de BDGS, cabinet d’affaires aux prestations sur-mesure, devenu incontournable sur les grandes opérations financières de la place parisienne. Il est aussi et surtout l’homme de confiance du CAC 40, l’intermédiaire discret vers lequel les uns et les autres ont pris l’habitude de se tourner pour régler leurs petits et gros problèmes. L’un de ses derniers fait d’armes : débloquer les discussions encalminées autour du sauvetage du géant des maisons de retraite Orpea. La plupart de ses missions restent toutefois secrètes, les grands noms de la place préférant laver leur linge sale en famille.

A son CV déjà impressionnant, l’ex-inspecteur des Finances, passé par Bruxelles et Matignon, a ajouté une ligne supplémentaire. Pourtant étranger au monde de l’assurance, ce proche d’Henri de Castries a pris la tête l’an dernier du conseil d’administration d’Axa , géant européen du secteur et investisseur de premier plan.

La démultiplication des casquettes de l’élégant énarque a fait tousser. Pas suffisamment toutefois pour couvrir l’assourdissant concert d’éloges que suscite l’évocation d’« AGG » dans les cercles du pouvoir, pourtant prompts aux petites vacheries pour dézinguer le favori du moment.

Flegme et courtois, quoi qu’il arrive

« Tout Paris l’attendait au tournant, raconte, l’oeil malicieux, un autre de ces conseillers de l’ombre que la place de Paris affectionne tant. Mais pour l’instant, il n’a commis aucune faute de carre. » S’il se sait scruté, l’avocat n’en montre rien, affichant en toutes circonstances une courtoisie et un flegme rarement pris en défaut, assurent ceux qui le connaissent depuis longtemps. Shiva et Bouddha réunis en somme. « Il est d’une élégance rare qui pourrait presque faire croire qu’il est dilettante. C’est une de ses ruses secrètes », avance François Fillon, dont « AGG » a été le directeur de cabinet adjoint à Matignon.

Même au pire de la crise économique de 2007-08, il n’a jamais perdu son sang-froid, raconte l’ancien Premier ministre, pas plus que lors d’une balade en hors-piste dans les Alpes françaises, digne d’un film catastrophe. « Il a fait comme si de rien n’était alors que les amis qui nous accompagnaient m’en parlent encore avec effroi. »

Antoine Gosset-Grainville est depuis l'an dernier à la tête du conseil d'administration d'Axa.

Antoine Gosset-Grainville est depuis l’an dernier à la tête du conseil d’administration d’Axa.Frédéric Stucin Pour Les Echos Week-End

Dans les bureaux de BDGS à deux pas des Champs-Elysées, l’intéressé déroule un argumentaire que l’on sent bien rodé. Il s’astreint, dit-il, à des règles extrêmement strictes lui interdisant toute intervention dans le domaine de l’assurance ou sur un dossier concernant Axa. « C’est passionnant d’être de l’autre côté de la table », témoigne AGG qui a dû rogner sur son temps d’avocat pour réussir à tout faire tenir dans son agenda. « Mes semaines sont bien remplies », concède-t-il, dans un sourire, bien sûr.

Aux esprits chagrins, ses défenseurs – ils sont nombreux – soulignent que s’il est rare en France qu’un avocat assume de telles fonctions, la pratique est plus répandue ailleurs, notamment aux Etats-Unis. Et puis, il était l’homme de la situation. « Axa avait besoin d’une figure de l’establishment français face au directeur général allemand Thomas Buberl », décrypte un bon connaisseur des arcanes du pouvoir.

La voie royale

A ce jeu-là, Antoine Gosset-Grainville coche toutes les cases. Bien né, lui et sa silhouette longiligne ont arpenté les grandes fabriques du pouvoir : lycée Stanislas, Sciences Po et l’Ena, promotion Gambetta. « Ce n’est pas celui qui était le plus visible dans la promotion, mais il se démarquait déjà par son caractère chaleureux, sa décontraction et une forme de classe naturelle », se souvient Hervé Gastinel qui préside aujourd’hui la compagnie Ponant.

De l’inspection des Finances, il rejoint le cabinet du commissaire européen au Commerce de l’époque, Pascal Lamy, une autre pépinière de talents. Puis ce sera le cabinet Gide Loyrette Nouel, dont il dirige le bureau de Bruxelles avant d’être appelé aux côtés de François Fillon. Il restera trois ans à Matignon avant de devenir numéro 2 de la Caisse des dépôts et Consignations (CDC), le bras armé financier de l’Etat qu’il dirigera un temps par intérim. De quoi se constituer un épais carnet d’adresses.

Mais en 2013, l’ambitieux bifurque. Il troque sa casquette d’inspecteur des Finances contre celle d’avocat-entrepreneur en fondant un nouveau cabinet aux côtés de trois anciens de Gide : Antoine Bonnasse, Youssef Djehane et Jean-Emmanuel Skovron. BDGS est né.

« On avait fait le constat qu’il y avait très peu de boutiques spécialisées dans les grosses opérations de fusions-acquisitions boursières avec la complexité inhérente à ce type d’opérations », explique Antoine Gosset-Grainville. Un créneau à prendre dans un pays qui compte de nombreuses multinationales. BDGS promet d’offrir du sur-mesure et des associés « les mains dans le cambouis » avec un ratio de deux collaborateurs par associé, contre entre quatre et cinq en moyenne dans la profession.

Au début, les néo-entrepreneurs essuient un peu les plâtres. « Dans notre ancien cabinet, lorsqu’on faisait tomber le portable dans la piscine à l’autre bout de la planète, on en recevait un nouveau le lendemain. Là, on faisait les cafés nous-mêmes pour les clients », relate Jean-Emmanuel Skovron, l’un des cofondateurs.

BDGS s’est fait un nom aux côtés de Bredin Prat et Darrois

Mais les clients suivent et les mandats s’enchaînent : conseil d’Engie pour la vente de ses parts dans Suez, de la Fnac pour son offre publique sur Darty, de CMA CGM pour plusieurs de ses acquisitions etc. Le cabinet – plus de 50 avocats, 17 associés désormais – revendique une croissance de 10 % chaque année depuis son lancement. Pour ceux qui douteraient encore de son succès, un petit tour à la fête des 10 ans de BDGS en juin dernier aurait achevé de les convaincre. Dans les jardins du musée Rodin, on pouvait y croiser le Who’s Who de la politique et du business, dont les ministres Gérald Darmanin et Bruno Le Maire.

Dans les locaux parisiens du cabinet BDGS qui compte aujourd'hui plus de 50 avocats. De gauche à droite, sept des dix-sept associés : Kyum Lee, Youssef Djehane, Antoine Gosset-Grainville, Antoine Bonnasse, Jean-Emmanuel Skovron (les quatre cofondateurs), Maria Trabucchi et Guillaume Jolly.

Dans les locaux parisiens du cabinet BDGS qui compte aujourd’hui plus de 50 avocats. De gauche à droite, sept des dix-sept associés : Kyum Lee, Youssef Djehane, Antoine Gosset-Grainville, Antoine Bonnasse, Jean-Emmanuel Skovron (les quatre cofondateurs), Maria Trabucchi et Guillaume Jolly.Frédéric Stucin Pour Les Echos Week-End

Cette ascension éclair ne va pas sans susciter quelques froncements de sourcils : Antoine Gosset-Grainville utiliserait son carnet d’adresses constitué dans la sphère publique pour faire prospérer son business. « Je ne crois pas au courtage de carnet d’adresses, rétorque Jean-Emmanuel Skovron. Antoine est ce qu’il est, il connaît beaucoup de monde. Mais à la fin des fins, quand vous avez un problème juridique, vous voulez quelqu’un pour vous défendre. Antoine est très reconnu dans son domaine. » D’autres ajoutent que tous les grands avocats d’affaires sont aussi sollicités pour leur réseau, même si ce n’est pas la raison principale pour laquelle on leur confie des mandats.

Le spécialiste en droit de la concurrence affirme pour sa part refuser de faire du lobbying. « J’ai toujours refusé de prendre un dossier où je voyais bien que ce qu’on attendait de moi c’était d’ouvrir une porte », ajoute-t-il sans affect, comme si les critiques glissaient un peu sur lui. « Il a un petit côté Tefal », confirme Pascal Lamy.

Il a notamment rapidement rebondi après la campagne présidentielle manquée de François Fillon en 2017, dont il était pourtant l’une des chevilles ouvrières. De ses succès, il ne tire aucune arrogance, assurent ses proches, selon lesquels l’homme cultive une forme de distance, peut-être parce qu’il a été frappé par un drame personnel, le décès de son fils Augustin en 2012.

Aujourd’hui, il est souvent décrit comme proche d’Emmanuel Macron, qu’il avait rencontré au moment de la commission Attali et qu’il a même hébergé dans les locaux de son cabinet pendant quelques semaines, à un moment où le futur chef de l’Etat envisageait de monter une start-up. Depuis qu’il est à l’Elysée, ils se croisent beaucoup moins, précise AGG, qui voit en revanche à intervalles réguliers Alexis Kohler, secrétaire général du « château ».

De Lamy à Fillon, en passant par Macron, la « fluidité politique » de l’avocat questionne. « C’est un Européen, modéré dans ses opinions, libéral économiquement », assure Henri de Castries qui ne lui trouve qu’un défaut : son manque d’attrait pour la chasse.

Il sait fabriquer des équilibres

Parce qu’il occupe cette place à part dans l’écosystème français, Antoine Gosset-Grainville est fréquemment sollicité pour mener des médiations, un exercice – bien rémunéré au demeurant – qu’il dit « adorer ». S’il a échoué à réconcilier Covéa et Scor, ses talents de conciliateur ont en revanche fait merveille chez Orpea.

Ce jeudi 19 janvier 2023, à 4 heures du matin, les principaux acteurs du dossier se quittent fâchés. Malgré des semaines de discussions, les créanciers et la CDC n’arrivent pas à s’entendre sur un plan de sauvetage de ce groupe de maisons de retraite, en pleine débâcle financière après le scandale qui l’a frappé. C’est là qu’AGG entre en piste. « Tout le monde avait envie d’aboutir, mais à un certain moment, on ne trouvait plus le chemin », se remémore le directeur général d’Orpea, Laurent Guillot. L’affaire sera réglée en moins d’une dizaine de jours. « Par les liens de confiance qu’il avait développés avec les intervenants de longue date – il les connaissait tous avant – cela a permis de catalyser un accord qui n’était pas loin d’être trouvé. »

« Antoine c’est l’Onu. Il ne mène pas de bataille, on le garde pour faire la paix », conclut Alain Minc, un autre conseiller des puissants. 

Sur sa vie en dehors du travail, l’administrateur du Siècle se montre peu disert. Amoureux du Pays basque, adepte du vélo, excellent joueur de tennis, décrivent ses proches qui ne lui connaissent qu’un seul travers – certes partagé avec beaucoup de Français – sa passion pour Napoléon.

Les dates clefs d’Antoine Gosset-Grainville

1993 Diplômé de l’ENA, promotion Gambetta.

1999-2002 Il intègre le cabinet du commissaire européen au Commerce, Pascal Lamy, pépinière de futurs talents.

2002-07 Il prend la tête du bureau bruxellois du cabinet Gide Loyrette Nouel.

2007 Directeur de cabinet adjoint de François Fillon à Matignon.

2010 Directeur général adjoint de la Caisse des dépôts.

2013 Il fonde le cabinet BDGS avec Antoine Bonnasse, Youssef Djehane et Jean-Emmanuel Skovron.

2017 Il se met en retrait du cabinet pour participer à la campagne de François Fillon à l’élection présidentielle.

2022 Il prend la présidence du géant de l’assurance Axa.

2023 Le cabinet BDGS fête ses 10 bougies en grande pompe.

Intertitre

A lire sur un objet concordant:

Appel à la justice de l’État/Lettre circulaire,Le livre . Ouvrage de référence.

La Justice de Dieu qui passe,(la couverture) .

Manuel de procédure pénale,Le livre . Disponible dans toutes les bonnes librairies.

Author: Maurice GLAIN