La Cour suprême suisse confirme une sentence intra-UE au titre du TCE

Dans un jugement du 3 avril 2024la Cour suprême suisse (la « CSS ») a rejeté la contestation par l’Espagne d’une sentence arbitrale rendue dans le cadre d’un arbitrage intra-UE en vertu du Traité sur la Charte de l’énergie (le « ECT »). Ce billet aborde le point le plus saillant de cette décision, à savoir le rejet par la CSE du Acmée et Komstroï arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne (la « CJUE »).

Faits

En 2007 et 2008, l’Espagne a adopté une série de mesures pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables. Sous ce régime, EDF Energies Nouvelles SA (« EDF ») – une société d’électricité française – a acquis douze installations solaires par l’intermédiaire de filiales espagnoles. En 2013 et 2014, l’Espagne a abrogé ces mesures et les a remplacées par des réglementations offrant moins d’avantages aux investisseurs.

En conséquence, EDF a engagé une procédure d’arbitrage contre l’Espagne en 2016 au titre du TCE. Le tribunal arbitral de Genève a rendu sa sentence finale en avril 2023. Il s’est déclaré compétent pour connaître du litige et a condamné l’Espagne à payer 29,6 millions d’euros plus les intérêts pour violation de la norme de traitement juste et équitable du TCE.

Le tribunal arbitral avait affirmé sa compétence sur l’Espagne sur la base de l’article 26 TCEqui prévoit notamment que «[s]sous réserve uniquement des alinéas [26(3)](b) et (c), chaque Partie contractante donne par la présente son consentement inconditionnel à la soumission d’un différend à l’arbitrage international ».

L’Espagne a contesté la compétence du tribunal devant la CSE. Concernant le caractère intra-UE de la sentence, l’Espagne a fait valoir que :

  1. son consentement à l’arbitrage au titre du TCE ne s’étendait pas aux litiges intra-UE ; et
  2. L’article 26 du TCE était incompatible avec le droit de l’UE, qui prévaut sur le TCE.

Le SSC ne tient pas compte Acmée et Komstroï

Avant d’examiner les arguments de l’Espagne, la CSS a dû déterminer le poids qu’elle devait accorder à Acmée et Komstroï. Comme l’a rappelé la CSE, la jurisprudence de la CJUE ne lie que les tribunaux des États membres de l’UE. La Suisse ne faisant pas partie de l’UE, la CSE n’avait pas l’obligation de suivre les décisions de la CJUE.

Cela n’empêche généralement pas la CSS de s’inspirer de la jurisprudence des tribunaux locaux compétents pour interpréter le droit étranger. Dans cette affaire, cependant, la CSE a estimé que les institutions européennes menaient une « croisade » contre l’arbitrage en matière d’investissement au sein de l’UE. Examen Komstroï, la CSE a estimé que la CJUE avait pris sa décision sur la base de l’autonomie et des « caractéristiques spécifiques » du droit de l’UE plutôt que sur la base du droit international et des règles d’interprétation des traités. Selon la CSE, la CJUE – en tant que plus haute juridiction de l’UE – aurait pu être tentée de faire prévaloir le droit de l’UE sur le TCE, rendant ainsi Komstroï un pro domo plaidoirie. Par conséquent, le CSS a décidé qu’il n’accorderait pas d’importance particulière à Acmée et Komstroï.

L’article 26 du TCE englobe les litiges intra-UE

Afin de déterminer si l’Espagne avait consenti à arbitrer les différends intra-UE, la CSE a cherché à interpréter l’article 26 du TCE en référence à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traitésc’est-à-dire « de bonne foi, conformément au sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». La CSE a d’abord fait remarquer que le libellé de l’article 26 TCE était clair et ne laissait aucune place à une exclusion des litiges intra-UE. En effet, le consentement des parties au TCE à l’arbitrage était « inconditionnel », à l’exception des exceptions contenues de manière exhaustive dans le TCE – dont aucune ne concernait les différends intra-UE.

Le contexte et les autres dispositions du TCE n’ont pas non plus été d’une grande aide pour l’Espagne. La CSE a rejeté l’argument de l’Espagne selon lequel les articles 1, paragraphes 3 et 10, et l’article 25 du TCE Sont exclues du champ d’application du TCE les questions pour lesquelles les États membres de l’UE ont transféré des compétences à l’UE, notamment en ce qui concerne le marché intérieur de l’électricité et les traités d’investissement.

La CSE a en outre estimé que l’objet et le but du TCE étaient de promouvoir la coopération internationale et les investissements dans le domaine de l’énergie, sans égard à l’origine des investisseurs. Empêcher les investisseurs européens de recourir à l’arbitrage contre les États membres de l’UE serait donc incompatible avec cet objectif.

La CSE a également rejeté l’affirmation de l’Espagne selon laquelle la déclaration des Communautés européennes de 1997 au titre de l’article 26(3)(b)(ii) du TCE a abouti à une exclusion de l’arbitrage intra-UE. Selon la SSC, cette déclaration excluait l’arbitrage uniquement dans le cas où l’investisseur avait déjà eu recours à un autre mode de résolution des litiges en vertu de la clause de bifurcation contenue dans l’article 26, paragraphe 2, du TCE.. Quoi qu’il en soit, la CSS a noté que cette déclaration s’appliquait aux Communautés européennes elles-mêmes et non à leurs États membres.

L’Espagne ne pouvait pas non plus s’appuyer sur la déclaration des États membres [of the EU] du 15 janvier 2019 sur les conséquences juridiques de l’arrêt Achmea et sur la protection des investissements pour faire valoir que les parties au TCE étaient parvenues à un accord ou avaient établi une pratique visant à exclure l’arbitrage intra-UE de leur consentement à l’arbitrage en vertu de l’article 26 du TCE. Le CSE a observé que cette déclaration n’avait pas été signée par tous les États membres de l’UE, encore moins par toutes les parties au TCE. Il n’y avait donc aucune base pour la conclusion d’un accord ou l’émergence d’une pratique. En outre, la déclaration a été adoptée trois ans après qu’EDF ait entamé un arbitrage contre l’Espagne et ne pouvait pas s’appliquer rétroactivement au consentement de l’Espagne à l’arbitrage.

En référence à travail de préparation du TCE (voir par exemple le point 27.18 du projet d’accord de base du 12 août 1992), la SSC a en outre fait remarquer que les Communautés européennes avaient cherché à inclure une clause de déconnexion qui aurait exclu les dispositions du TCE dans les différends intra-UE. Selon la CSE, l’absence de cette clause dans le texte final du TCE témoigne de l’absence d’exception intra-UE dans le TCE. En conséquence, la CSS a estimé que le TCE ne contenait pas d’exclusion des différends intra-UE.

L’article 26 CE est compatible avec le droit de l’UE

L’argument alternatif de l’Espagne était que l’article 26 du TCE était en conflit avec le droit de l’UE qui, selon l’Espagne, prévalait sur les dispositions du TCE. La CSE a rejeté cet argument tant sur le fond que pour des raisons de procédure.

Sur le fond, la CSS a estimé que :

  1. En référence à Vattenfall c. Allemagne et Mercuria c. Pologne, la compétence exclusive de l’UE en matière de traités d’investissement établie par le traité de Lisbonne de 2007 n’a pas rendu les traités d’investissement antérieurs incompatibles avec le droit de l’UE. La compétence de la CJUE sur les actes des institutions de l’UE – y compris les traités conclus par l’UE – n’exclut pas non plus la compétence d’autres organes tels que le tribunal des investissements.
  2. La CJUE n’avait compétence exclusive que sur l’interprétation du Traité sur l’Union européenne et du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (tels que modifiés par le Traité de Lisbonne), et non sur le TCE. De plus, cette compétence exclusive ne concernait que les États membres de l’UE, et non les ressortissants de ces États. Il n’y avait donc aucun conflit entre le TCE et le droit de l’UE.
  3. Même en supposant que le TCE soit incompatible avec le droit de l’UE, le droit de l’UE ne prévaudrait pas sur le TCE. Au contraire, l’article 16 CE à condition que d’autres traités ne puissent pas déroger au TCE au détriment des investisseurs.

La CSE a également rejeté une partie des arguments de l’Espagne pour des raisons de procédure, car l’Espagne n’avait pas invoqué dans son mémoire de recours certaines des dispositions sur lesquelles elle s’appuyait et ne les avait évoquées que lors du deuxième tour de mémoires.

Le jugement de la CSE accroît le fossé résultant de Acmée

Le jugement de la SSC fait suite à une série de décisions quant à la compétence des tribunaux d’investissement intra-UE en vertu du TCE et d’autres traités d’investissement. En particulier, il fait écho au jugement de janvier 2023 de la Haute Cour du Royaume-Uni dans l’affaire Services d’infrastructures Luxembourg c. Espagnequi a rejeté une objection intra-UE similaire de l’Espagne. La décision de la CSS augmente ainsi le fossé entre les juridictions de l’UE et celles des pays tiers ainsi que la possibilité d’arbitrer les différends en matière d’investissement au sein de l’UE.

Cette lacune est confirmée par l’annulation de la Cour d’appel de Svea le 27 mars 2024 de la remise du prix final en Triodos c. Espagneun arbitrage intra-UE dans le cadre du TCE. Ce cas est particulièrement intéressant par rapport à EDF c. Espagne car les deux arbitrages se sont déroulés en parallèle. Les deux tribunaux arbitraux avaient le même président et ont dû répondre aux objections intra-UE de l’Espagne, qu’ils ont décidé d’utiliser un langage en partie identique. Cependant, le Triodos Le tribunal siégeait en Suède (Stockholm) plutôt qu’en Suisse. Se référant à Acmée et Komstroïla Cour d’appel de Svea a estimé que Triodos la sentence était manifestement incompatible avec la politique suédoise étant donné le caractère intra-UE du litige. Même si ce jugement n’était pas surprenant étant donné que la Cour suprême suédoise avait annulé la sentence en PL Holdings c. Pologne pour des raisons intra-UE, elle contraste fortement avec la décision du CSS EDF c. Espagne.

Même si les octrois d’investissements intra-UE au titre du TCE sont confirmés par les tribunaux de contrôle compétents, leur application restera difficile dans l’UE depuis la Convention de New York. permet aux tribunaux locaux de refuser l’exécution sur la base de l’ordre public et de l’absence de compétence.

L’Espagne confirme son retrait du TCE

L’Espagne a confirmé son retrait du TCE peu après la publication de la décision du CSS, avec effet au 17 avril 2025. Il est ainsi le dernier Etat à annoncer sa sortie du TCE après la France, l’Allemagne, la Pologne.Slovénie et le Luxembourg. Les Pays-Bas, le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni ont également exprimé leur intention de dénoncer le traité. L’UE envisage également de se retirer du TCE.. Il convient toutefois de noter que l’article 47, paragraphe 2, du TCE prévoit que les retraits ne deviennent effectifs qu’un an après la notification du retrait, tandis que l’article 47, paragraphe 3, du TCE étend la protection des investissements existants pour une période de 20 ans après le retrait. Il reste donc à voir comment chaque partie sortante gérera la clause d’extinction du TCE, qui prolonge la durée du traité après le retrait d’une partie.

Author: Maurice GLAIN