Tribune libre : « Sélection des juges de l’UE : le rôle du Comité 255 selon le Traité »


Il s’agit du deuxième éditorial d’un symposium sur « La sélection des juges de l’UE et le comité 255 ». Un éditorial précédent a été rédigé par Joseph HH Weiler. D’autres éditoriaux sur ce sujet seront bientôt publiés sur EU Law Live


Nous sommes heureux d’accepter l’invitation de EU Law Live à débattre avec Joseph Weiler, comme d’habitude, d’un article puissant et incisif sur le rôle du Comité 255. La Cour de justice de l’Union européenne est le pilier fondamental d’une Union européenne fondée sur l’État de droit. Tout au long de son histoire, la Cour a joué un rôle crucial et reconnu dans le développement d’une Union de droit. Même les décisions les plus controversées, que la CJUE a parfois dû prendre, comme toute juridiction suprême, n’ont jamais remis en cause le prestige et la crédibilité qu’elle a acquis auprès de ses pairs, tant en Europe qu’au-delà. Un aspect crucial à cet égard a été la qualité et la diversité des membres qui composent la CJUE. La Cour a bénéficié de la qualité des nominations judiciaires effectuées par les États membres, mais aussi de la diversité des traditions juridiques et des profils judiciaires qui est ancrée dans les différents ordres juridiques de ses États membres. Ces objectifs sont inhérents à l’article 253 du TFUE, qui dispose que « les juges et les avocats généraux de la Cour de justice sont choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d’indépendance et possédant les qualifications requises pour être appelées à exercer les plus hautes fonctions juridictionnelles dans leurs pays respectifs ou qui sont des jurisconsultes possédant une compétence notoire ».

En 2009, le traité de Lisbonne a instauré un comité chargé de conseiller les gouvernements des États membres sur l’aptitude des candidats à siéger à la Cour, c’est-à-dire sur leur conformité aux exigences imposées par l’article 253 du TFUE. Ce comité (généralement connu sous le nom de comité 255) constitue une importante garantie pour garantir que les différents candidats nationaux à la fonction de membre de la CJUE continuent de remplir les qualifications et l’indépendance requises par le traité. Il n’appartient pas à ce comité d’ajouter des exigences supplémentaires à celles fixées par le traité, et encore moins de substituer ses propres critères à ceux du traité ou de mener un processus de sélection autonome comme s’il s’agissait d’établir une carrière judiciaire dans l’Union européenne. En outre, si l’évaluation du comité devait devenir un examen ou un processus de sélection, il serait nécessaire d’offrir aux candidats les garanties appropriées en matière de procédure régulière, notamment à la lumière des conséquences juridiques qui découlent, de facto, des conseils donnés par le comité aux gouvernements nationaux.

Jusqu’à présent, les gouvernements des États membres ont toujours suivi l’avis du Comité 255. Il faut le soutenir. Nous craignons cependant qu’une pratique du Comité ne remette en question cette coopération. Comme l’a observé le professeur Weiler dans son article, le Comité est allé au-delà de la simple évaluation de la conformité du candidat aux exigences établies par le Traité pour imposer, dans la pratique, un profil spécifique, basé principalement sur un nombre déterminé d’années d’expérience. De telles exigences supplémentaires ne figurent pas dans les Traités. Des critères de ce type peuvent (et ont été) utiles au Comité pour déterminer si un candidat remplit les exigences du Traité. Cependant, ils ne peuvent pas être appliqués d’une manière qui crée effectivement une nouvelle exigence, et encore moins une exigence d’âge ou une exigence utilisée en contradiction avec les termes explicites du Traité. Si ces critères avaient été appliqués dans le passé, ils auraient exclu de la Cour des personnalités telles que son président actuel ou l’ancien président Gil Carlos Rodríguez Iglesias, ainsi que de nombreux autres membres passés et présents. Ni les gouvernements des États membres ni les institutions de l’UE n’ont participé à ce qui semble être l’élaboration de critères pour une carrière judiciaire dans l’UE, mais se sont contentés de vérifier que les candidats présentés par les gouvernements nationaux répondent aux exigences du Traité. En fait, la nature des critères rendus publics dans le dernier rapport de la commission, et sa pratique dans leur application, semblent favoriser la création d’une bureaucratie judiciaire européenne. Cela est particulièrement évident lorsque la commission accorde plus de poids à une courte expérience au Tribunal (la première instance de la CJUE) qu’à une expérience plus longue dans une haute juridiction.

Cela étant dit, les auteurs n’ont pas l’intention de débattre du profil idéal pour le poste de juge à la CJUE, ni de savoir si l’âge et une certaine durée d’expérience devraient faire partie des exigences. Notre objectif est de protéger les critères de sélection consacrés par le Traité et de sensibiliser aux risques que présente le Comité 255 en agissant ultra vires ou en violant les garanties d’une procédure régulière, en élaborant et en appliquant des exigences qui dépassent ou même contredisent celles incluses dans le Traité. Quelle autre conclusion peut-on tirer du cas mis en évidence par le professeur Weiler, lorsque le Comité rejette un candidat parce qu’il ne dispose pas des 20 années d’expérience jugées « nécessaires » – selon la pratique du Comité – pour remplir « les qualifications pour être nommé à la plus haute fonction judiciaire de son pays », même si le candidat en question est le vice-président d’une Cour constitutionnelle ? Dans un tel cas, le Comité impose simplement ses propres critères à ceux du Traité. Le Comité a exclu par le passé d’autres candidats pour la même raison – un manque de 20 ans d’expérience – y compris un cas où la sélection nationale était présidée par le Président de la Cour suprême de ce pays (soulevant au moins une présomption de conformité du candidat avec l’exigence du Traité selon laquelle il doit être qualifié pour être nommé à la plus haute fonction judiciaire de ce pays).

Il est difficile de savoir exactement comment la commission a appliqué ses critères en raison du manque de transparence de l’ensemble de la procédure. Cela était compréhensible à la lumière de la conception initiale du rôle de la commission : un rôle purement consultatif et strictement limité à l’évaluation des exigences du Traité afin d’éviter tout risque de nomination flagrante par un gouvernement national. Cependant, tant le caractère pratiquement contraignant de l’avis de la commission que l’élargissement de l’examen qu’elle mène sont, cependant, en contradiction avec ce manque de transparence. Pour autant que l’on puisse en juger, la commission a adopté une utilisation beaucoup plus stricte du critère des 20 ans d’expérience, dans la mesure où il est appliqué en contradiction directe avec les termes explicites du Traité. Cela présente un risque grave que la commission outrepasse son champ de compétence, tout en augmentant la probabilité de conflits avec les gouvernements nationaux et en sapant la confiance mutuelle essentielle avec les plus hautes juridictions des États membres. En outre, il est crucial d’empêcher toute augmentation potentielle du nombre de décisions controversées prises par la commission de nuire à la réputation de la CJUE.

L’État de droit, qui a été une préoccupation centrale pour les institutions de l’UE ces dernières années, repose sur le respect de la séparation des pouvoirs et de la compétence limitée de chaque organe et entité au sein de l’espace juridique européen. C’est dans ce contexte que nous soulignons l’importance vitale que le Comité (tant dans sa composition actuelle que future) exerce sa fonction strictement comme le prévoient les traités. Son objectif est de garantir que les critères qui ont si bien servi le système judiciaire et l’ordre juridique de l’UE dans le passé continuent de le faire. Il n’entre pas dans son mandat de se transformer en un comité de sélection des juges pour la CJUE, qui élabore ses propres critères et un profil spécifique pour un juge de l’UE.

Amato, G., Cartabia, M., Grimm, D., Poiares Maduro, M., Moura Ramos, RM, da Cruz Vilaça, JL : « Sélection des juges de l’UE : le rôle du Comité 255 selon le Traité », UE Loi
En direct, le 23/09/2024,

Author: Maurice GLAIN