Interférence avec le programme informatique lors de l’exécution : C-159/23 Sony Computer Entertainment Europe

Interference avec le programme informatique lors de lexecution C 15923 Sony
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Une faille dans la protection du droit d’auteur ?

La directive de 2009 relative à la protection juridique des programmes informatiques (la Directive Logiciels)) accorde une protection par le droit d’auteur à toutes les formes d’expression de programmes informatiques. Son article 4(1) mentionne trois droits exclusifs. Le premier est le droit de reproduction, qui couvre non seulement les copies permanentes mais également les copies temporaires chargées dans la mémoire volatile d’un ordinateur. Le deuxième droit couvre toutes sortes de modifications du programme et de reproductions de ces modifications, que ces modifications soient ou non originales en elles-mêmes. La troisième couvre toute forme de distribution au public.

Le droit de reproduction a été établi comme un équivalent fonctionnel d’un droit de contrôler l’utilisation d’un programme. Il permet aux ayants droit de contrôler même les actes de chargement et d’exécution des programmes, car chacun d’eux nécessite presque toujours au moins une reproduction temporaire dans la mémoire de travail. Le droit de modification leur donne le contrôle de plusieurs marchés secondaires, car la maintenance, y compris les mises à niveau et les corrections d’erreurs, est souvent impossible sans modifier une forme d’expression protégée du programme.

Ce système peut paraître impénétrable. Cependant, que se passerait-il si, au lieu de modifier le code du programme, nous intervenions sur la façon dont il interagit avec l’ordinateur au moment de l’exécution ? C’est l’essentiel de l’affaire C-159/23 Sony Computer Entertainment Europe, qui a finalement été portée devant la Cour de justice de l’UE (CJUE) après avoir passé plus d’une décennie devant les tribunaux allemands. Il s’agit d’une console de jeux vidéo et de jeux abandonnés depuis longtemps, mais le jugement pourrait avoir une influence durable sur l’industrie informatique en général.

Le contexte et les questions préliminaires

Le requérant distribuait une console portable (PlayStation Portable) et des jeux. Les défendeurs ont développé et distribué des logiciels et des dispositifs complémentaires aux consoles, qui permettaient à l’utilisateur d’utiliser à la fois la console et les jeux d’une manière non envisagée par leurs créateurs. Entre autres choses, ils ont permis d’interférer avec le gameplay (ou, pourrait-on dire, de tricher) en supprimant certaines restrictions ou en facilitant les défis. Surtout, le logiciel des soldats n’interfère jamais directement avec le code de la partie du jeu protégée en tant que programme informatique. (C-355/12, Nintendo). Au lieu de cela, lorsque le jeu enregistrait certaines valeurs dans la mémoire de travail de la console, le logiciel les écrasait par d’autres valeurs. Bien que l’ordinateur suive les instructions exactes écrites dans le code, il les exécutera sur des données différentes. Selon le requérant, cela constitue une contrefaçon altération du programme. Après des décisions divergentes des tribunaux des instances inférieures, l’affaire a été portée devant la Cour suprême fédérale allemande, qui a posé deux questions à la CJUE. Ils se résument à ce qui suit :

  1. Y a-t-il une interférence avec la protection accordée à un programme informatique lorsque des modifications sont apportées uniquement au contenu des variables stockées dans la mémoire de travail de l’ordinateur ?
  2. De tels changements constituent-ils des altérations au sens de la directive logiciel, même si le code du programme reste inchangé ?

Pour répondre à ces questions, la CJUE devra en revisiter une autre : qu’est-ce qu’au juste une forme d’expression d’un programme informatique ? La Directive Logiciels mentionne spécifiquement le code et, conformément à l’article 10(1) de l’Accord sur les ADPIC, cela inclut à la fois le code source et le code objet. (C‑393/09, BSA). Dans certaines circonstances, les documents de conception préparatoire sont également protégés par la directive sur les logiciels. En revanche, la CJUE a estimé que la fonctionnalité d’un programme, les langages de programmation, les formats de fichiers de données (C-406/10, SAS) et interfaces utilisateur graphiques (BSA) ne sont pas protégés par le droit d’auteur sur les programmes informatiques. Aucun de ces exemples ne traite spécifiquement des données chargées dans la mémoire de travail.

Arguments concurrents

Le tribunal régional supérieur de Hambourg, qui a statué contre le requérant avant que l’affaire ne parvienne au Tribunal fédéral, a exclu les données de la notion de programme informatique. Son raisonnement peut être résumé ainsi : lors de la préparation de la Directive Logiciel de 1991, un programme était compris comme un ensemble d’instructions destinées à exécuter une fonction ou une tâche particulière sur un ordinateur. Ces instructions sont incarnées dans différents types de codes (source, objet), qui expriment le travail original du ou des auteurs. Ce concept de programme informatique n’inclut pas les données générées lors de l’exécution, donc l’interférence avec ces données ne constitue pas une altération couverte par les droits exclusifs. En outre, cela serait incompatible avec le principe selon lequel le droit d’auteur ne couvre pas la simple utilisation d’une œuvre ou la fonctionnalité d’un programme. (C‑406/10, SAS). Une modification couverte par l’article 4 de la directive sur les logiciels n’est conceptuellement possible que si le code objet, le code source ou la structure interne du programme est modifié. Cette approche est cohérente avec une série de décisions allemandes concernant les outils de blocage des publicités, dans lesquelles les tribunaux ont presque universellement rejeté allégations de contrefaçon en interférant avec la sortie du programme.

La requérante a adopté une position que l’on pourrait qualifier de neutralité technologique radicale. Prenant comme point de départ la même définition d’un programme informatique, Sony a fait valoir que toute partie de l’ensemble d’instructions contribuant à l’obtention des résultats prévus ou permettant certaines fonctions devrait être traitée comme faisant partie du programme, y compris les données. Ici, le but du programme est de fournir un gameplay dynamique, avec des variables stockées et modifiées selon le plan du programmeur. Et comme les programmes informatiques sont protégés en tant qu’œuvres littéraires, leur protection va également au-delà du texte. Lorsqu’un contenu spécifique de ces variables faisait partie du plan du programmeur, la simple utilisation d’un contenu incorrect (c’est-à-dire non envisagé par le programmeur) enfreint le droit de modification.

Commentaire

Bien qu’il soit tentant de tracer une ligne de démarcation claire entre le code et les données, cette approche est périlleuse. Par exemple, les valeurs de certaines variables et constantes sont presque toujours écrites dans le code. L’affaire ne serait probablement pas controversée si le programme du défendeur modifiait les mêmes valeurs sur place, pas seulement pendant l’exécution. On pourrait se demander : quelle différence le moment de la modification fait-il ? Les arguments techniques sont particulièrement dangereux pour les logiciels : même lorsque la loi sur le droit d’auteur utilise des termes développés en informatique, elle ne fait qu’effleurer la surface (par exemple, considérons les programmes qui se modifient eux-mêmes).). La récente décision de la CJUE dans l’affaire C-13/20 Excellent système n’est pas très utile non plus. Selon le tribunal, la correction des erreurs dans un programme implique une modification de son code « dans la plupart des cas ». Cette déclaration énigmatique soulève la question : dans quels cas ce n’est pas le cas ?

Au lieu de tenter de décortiquer le problème d’un point de vue purement technique, considérons les conséquences. Si les réponses de la CJUE à ces deux questions sont négatives, les développeurs de jeux vidéo ne pourront pas s’appuyer sur le droit d’auteur pour lutter au moins contre certains types de logiciels de triche. Toutefois, si la CJUE devait approuver l’approche du demandeur, cela aurait des conséquences au-delà du développement de jeux. Il ne serait guère surprenant que les développeurs de logiciels s’appuient sur une interprétation élargie du droit de modification pour renforcer leur emprise sur le marché secondaire de la maintenance. Par exemple, leurs droits exclusifs couvriraient non seulement les modifications du code mais également les changements apportés à la configuration des programmes d’une manière non envisagée (c’est-à-dire autorisée). Dans une certaine mesure, les utilisateurs pourraient se prévaloir de l’article 5, paragraphe 1, de la directive logiciel, mais cette exception a aussi ses limites. (voir C‑13/20, Excellent système).

En bref, toute décision autre qu’une réponse négative aux deux questions ferait l’effet d’une bombe, ce qui semble expliquer pourquoi la juridiction de renvoi semble hésiter à accepter les arguments du requérant..

Author: Maurice GLAIN